La pratique de Xiaojun Song semble recéler un paradoxe dans la relation inattendue qu’elle propose entre ses dessins, ses peintures et ses installations. Dans le dialogue entre ces figures sur papier et une paroi murale vierge et oscillante, que voyons-nous réellement ?
En observant tout d’abord ces figures ligneuses qui traversent des feuilles, on pense à de lourdes chevelures nouées, à des sillons dans la terre, des courbes de niveaux, et même des organes. Ce vocabulaire qui évoque des contours humains ou de paysages devient parfois plus corporel, se mêlant avec des formes embuées et organiques qui composent comme des fragments de chair (Méditation Rouge #11, Méditation Triptyque #1). Le corps est en tout cas toujours présent : jamais représenté en tant que tel, mais plutôt comme un régime de courbes, de flux et de reflux, de lignes, où le papier même semble évoquer la surface d’une peau.
Ces peintures suggèrent en tout cas que leurs figures excèderaient les limites du dessin, comme interrompues par les bords de la feuille. Il faudrait changer de focale, modifier l’échelle du regard pour les appréhender : soit s’éloigner, imaginant que la peinture opère un cadrage sur une forme plus grande, soit au contraire se rapprocher, comme si leur examen de très près pouvait révéler leur matérialité. Dans les deux cas, si le dessin suggère une entité, qu’elle soit corps ou paysage, l’œuvre suggère une part qu’elle ne montre pas.
La matérialité de ces dessins ou peintures est aussi ambigüe : leurs outils sont certes ceux de la peinture traditionnelle chinoise, mais leur dimension ligneuse et répétitive pourrait les apparenter à une approche scripturale, évoquant par exemple un Roman Opalka, dans une approche plus sensuelle. Dans tous les cas, ces formes témoignent d’un geste ou d’un protocole spécifiques. Lors d’un entretien que nous avons eu, Xiaojun Song parle du dessin comme « expérience en soi ». Elle dit : « une des questions principales qui se pose à moi est le moment où j’arrête le dessin, où je le quitte, et où il me quitte aussi ». En cela, ses peintures constituent une expérience performative : comme le moment d’un contact privilégié de l’artiste avec quelque chose d’autre, qui n’est pas là et qu’elle convoque.
Xiaojun Song, Méditation triptyque n°3, 16.5 x 32.5 cm, 2021
Or la dimension performative du dessin est fondamentalement agie par la respiration : tout trait est une unité de souffle. Ici, sa répétition conduit à une forme d’incarnation. Xiaojun Song dit encore que « le trait (…) vient de nulle part pour aller nulle part. Il est à la fois sa cause et son propre effet. (…) Le premier trait engendre le second, puis le troisième et enfin la totalité de la composition ». Lao-Tseu, auquel l’artiste fait parfois référence, dirait « dix mille êtres », ce qui veut dire « toutes les choses de ce monde » : la vie est née et s’est déployée. Elle dirait encore : « La raison d'être du trait n'est pas ailleurs que dans l'engendrement successif et répété des autres, lorsque le principe pictural du geste s'efface pour devenir pleinement méditatif ». Ici, on me permettra de suggérer que ce qui est appelé méditation excède sa définition usuelle pour impliquer la relation à un au-delà : une manière d’être dans le présent qui appelle une absence.
Ces réflexions résonnent alors fortement avec la première expérience que j’ai faite du travail de Xiaojun Song, il y a dix ans, en 2012, lorsqu’elle était étudiante à l’École nationale supérieure d’art et de design de Nancy. Je co-dirigeais avec Jean-François Robardet l’atelier de recherche et création Cohabitation, dans lequel nous explorions les relations et interactions entre les œuvres et les spectateurs, à travers la création d’œuvres et leur mise en exposition. En binôme avec Guilhem Mariotte, étudiant à l’École des Mines de Nancy, Xiaojun avait conçu et réalisé l’œuvre Le quatrième mur, qui avait marqué l’atelier et l’exposition par sa manière aussi forte de s’imposer en dépassant la question de l’objet. Un mur entier, blanc, vierge de toute forme, qui se gonflait à intervalles réguliers, comme s’il respirait.
De par sa neutralité apparente et sa qualité de pure surface blanche et sans aspérités, agissant comme une paroi de l’espace dotée de vie, l’installation constituait un environnement à elle seule. Elle s’adressait à l’ensemble de l’exposition, qu’elle contribuait à infléchir, à faire vibrer et je pourrais dire à « inquiéter ». Des discussions entre nous avaient abouti au titre Le quatrième mur, qui par sa référence théâtrale explicite, dit bien à lui seul la potentialité d’adresse à l’ensemble du public de l’exposition, mais aussi l’existence d’un au-delà de ce mur, d’un arrière, d’une coulisse, où se joue quelque chose auquel nous n’aurons jamais accès. Nous pouvons bien la toucher, mais nous n’aurons pas de réponse.
Xiaojun Song et Guilhem Mariotte, Le quatrième mur, PVC, métal, pompe, capteurs, 2012. Photographie d'exposition, Cohabitation II, galerie NaMiMa, École nationale supérieure d'art et de design de Nancy, 2012. Photographie Thierry Fournier
C’est une des qualités spécifiques de cette œuvre, qui suggère que ce qui l’anime et lui donne vie n’est jamais vu : monumentale, elle fait ressentir ce qu’elle recèle tout en le cachant radicalement, un peu comme une sorte de Lettre volée inversée, à l’échelle de l’architecture. En cela, elle se comporte comme une non-œuvre, rejoignant ainsi possiblement une philosophie du non-agir (wuwei) qui semble traverser une partie de la pratique de Xiaojun Song. Mais elle pourrait aussi être une « tout-œuvre », au sens d’un « tout-monde » : quelque chose qui, par sa qualité de non-figuration et d’absence, pourrait suggérer un au-delà : ce que Xiaojun Song a laissé derrière elle, sa géographie, sa société et son éloignement intime, qu’elle évoque à plusieurs reprises.
Enfin, en cherchant des proximités dans l’histoire récente, on peut aussi trouver une similarité formelle entre Le quatrième mur et certaines œuvres de l’artiste américaine Wendy Jacob. Mais la comparaison s’arrête à l’apparence : là où celle-ci viserait par le toucher et l’enveloppement une relation symbiotique ou en miroir avec les corps du public, l’enjeu chez Xiaojun Song est inverse : l’œuvre nous met à distance, sa frontalité s’impose comme une altérité et suggère un espace qui n’est pas accessible. Le toucher est certes possible, mais il n’éclaire pas la relation à l’œuvre, il ne fait que mettre l’accent sur son étrangeté.
Il m’apparaît alors qu’une notion commune de respiration circule entre les dessins et l’installation, comme une modalité commune qui relierait deux médiums si différents. L’installation agit moins comme un organe que comme une sorte d’organisme alien, une membrane blanche dotée de perception, un peu comme les entités qui traversent ses dessins. Le quatrième mur excède l’échelle des personnes auxquelles elle fait face, comme les dessins évoquent un paysage qui se déploie au-delà de leurs contours.
On touche ici à une dimension qui me semble extrêmement forte dans la pratique de l’artiste, à savoir le rôle de la planéité, de la surface, du voile, qui sont sans cesse mis en jeu à travers la relation au papier, aux membranes et à la couleur blanche. Ces surfaces, dont l’artiste dit qu’elles évoquent l’absence et le manque, nous mettent à distance et nous parlent de ce qui se trouvent derrière elles. Ce mur comme ces dessins semblent habités par de nombreux fantômes.
Dans son exposition personnelle J’étais là à la Galerie Françoise Besson à Lyon en novembre 2022, Xiaojun Song tisse ainsi de multiples liens entre dessin, peinture et installation. Et c’est bien dans la relation avec les dessins que le statut spécifique du Quatrième mur s’éclaire, par tout ce travail sur l’au-delà de la surface, sur ce qui est recouvert sans être montré. Jacques Lacan parlait de « l’objet a », éternellement présent par son absence : cette dimension est le cœur d’une œuvre qui ne cesse d’évoquer ce qui n’est pas là.
Thierry Fournier
Meaucé, 2022
Thierry Fournier est artiste, curateur indépendant et auteur. Commissariats d’exposition et expositions personnelles récents : This Land Is Your Land, commissariat, Château de Goutelas 2022 ; Selphish, co-commissariat avec Pau Waelder, Mécènes du Sud Montpellier-Sète 2020 ; The Unknown, exposition Supplementary Elements, Université de Strasbourg 2022 ; Órganon, exposition personnelle, Université Paul Valery, Montpellier 2020. Il est également directeur artistique de la revue en ligne antiAtlas Journal (dernier numéro paru : Air Deportation, 2022).
www.thierryfournier.net
宋晓君的艺术题材都来自日常生活,她的机智之处是,总能以特有的艺术语言有效地表达独生一代的特殊内心感受,并引发人的深思。比如在作品《非此非彼》中,她就让一组组玻璃物品与被包裹图像相对照,我认为,这既显示了外在与内在的不同之处,也强调了在当下社会中人的伪装与异化之处;又如在作品《胃》中,她以密集的线与强烈的黑白关系对同一食物进行了重复式的表现,从而突出了纵欲与过度饮食导致的问题;再如在作品《拆》与《风》中,她则以城市化过程中的大拆迁为背景,有力地强调了现实与历史的紧密关系。并暗示:一但这种关系被破坏,人就会因失去根性而产生巨大的失落感。至于在艺术表现上,宋晓君的特点是,将传统版画的处理方式与现代影像的手法相结合进而形成了个人化的特点,这是极为难得的。
初见宋晓君的作品,无论是绘画还是装置,视觉上大都给人以通透、干净的印象,其作品中有意识的控制和大胆的留白,往往在轻松明朗的气氛中,为观者和艺术家之间营造出对话的空间。出生艺术家庭的宋晓君,从小受传统中国家庭教育的熏陶和艺术气氛的影响,让她在个人感受与艺术表现间有着更加细腻敏锐的捕捉;而长期在国外的生活经历,又使她在作品的表达上更加直接,即便面对“因果”“真实与虚无”“时间”“边界”这些较为抽象的问题,也可以用一种直观的视角进行解读,艺术家通过深入浅出的方式与观众进行互动,颇有些举重若轻的玩味。
借助电子钟形式创作的互动作品《时分》,探讨了时间的维度问题。当观者出现在时钟前,时钟出现“可见”二字,离开后时钟上隐藏的“不”字则逐渐显现,“可见”变成“不可见”。生活中的诸多事情何尝不是和时间一样,虽看不见却真实存在?艺术家对于时间的提示,也许可以引发我们更深层次的思考。作品《非此非彼》中,宋晓君将一组玻璃物品的组合与被包裹的图像相对照,这些被赋予实体外形的透明物,就像一场视觉游戏,不禁让人猜测覆盖物下所隐藏的未知,真相与想象之间有多少距离,影响判断的是思维惯性还是视觉经验使然?作为“因果”的“因”始于一笔无意识的线,这条线在被不断跟随,周而复始的重复后,形成了被延伸放大的成“面”的“果”,绘画成为艺术家修行内观的过程和途径,因果轮回于此呈现于方寸之间。
覆盖,重复,真实与虚无……始终贯穿在宋晓君的作品创作之中。于她而言,覆盖是创作的手段,重复是她的行为方式,真实与虚无是她始终探索并企图呈现的艺术效果。而在我看来,覆盖不是隐藏,重复却互为因果,她对生活的理解,对事物的探究,是她对艺术方式的选择,也是她对丈量这些无形存在一以贯之的执着。
你所看到的是否是真实完整的?那些看不见的是否可以忽略不计?宋晓君通过创作所试图展现的,正是将这些被忽视,被抽象,被隐匿的东西可视化的过程。赋无形之物以有形之态,变“不可见”为“可见”,这大抵就是艺术家所带给我们的一点哲思。